Sami Kanaan

Entrevue: Sami Kanaan, maire de la Ville de Genève*

12 janvier 2017

À l’occasion du Congrès de l’AIMF « Construire la ville du Vivre ensemble », qui s’est tenu en septembre 2016 à Beyrouth, nous avons rencontré Sami Kanaan, Maire de Genève* (Suisse). Il nous a parlé de sa vision du Vivre ensemble et comment la notion de « droits culturels » peut servir de levier pour valoriser la diversité dans une ville-carrefour comme Genève.

*Maire de Genève 2014-2015. Présentement Conseiller administratif responsable de la Culture et des sports au sein d'un Conseil exécutif, dont la présidence est rotative.

Quels sont, d’après-vous, les principaux défis de Genève en matière de « Vivre ensemble »?

Le « Vivre ensemble » concerne tout ce que nous faisons les uns et les autres, individuellement ou collectivement, pour que la qualité de vie et le lien social fonctionnent correctement dans un milieu urbain. En ville, par définition, on retrouve une forte densité de gens sur un petit territoire : des gens d’origines diverses, de profils divers, d’histoires personnelles variées. Ce mélange peut être très riche et enrichissant, mais pose des défis multiples de coexistence.

Genève est une ville multiculturelle. Le profil de notre population est objectivement très diversifié, que ce soit en termes d’origines, de profils socio-économiques, de profils socioculturels, de religion ou de génération. Notre ville connaît, en plus, un renouvellement constant de la population qui est globalement en augmentation. Genève est très fière de ce côté multiculturel. On se rend compte que la ville est comme une « mosaïque », parce qu’une mosaïque c’est beau et riche, mais c’est aussi délicat, elle nécessite de l’entretien.

De plus, nous sommes à la fois une ville-carrefour et une ville-frontière. L’interaction avec le bassin régional est très active : beaucoup de gens travaillent à Genève et habitent de l’autre côté de la frontière, en France. Avec un monde en globalisation où la concurrence sur le marché du travail est vive  – et Genève est considéré comme un endroit où on trouve du travail– cela crée des tensions entre les gens installés et ceux qui arrivent, de loin ou de près. En ce moment, la coexistence est plus compliquée d’avant. C’est donc un défi pour nous de maintenir cette qualité de vie et cette dimension multiculturelle, dont Genève est fière. En tant que collectivité publique, on a la responsabilité de faire vivre dans cette mosaïque de manière harmonieuse et d’intégrer ces nouveaux éléments, pour qu’ils puissent se sentir bien.

Quelle est votre approche pour faire face à ces défis?

À l’échelle municipale, on est aux premières loges des contacts avec les gens, on connaît les problèmes sur le terrain. La Ville de Genève a une Politique municipale en matière de diversitéet une politique d'accueil, au sens large : aussi bien pour quelqu’un qui vient de Suisse que pour celui qui vient de l’autre bout de la planète. On contribue par toutes sortes de mesures à ce que ces gens trouvent le contact. On essaie de mettre à leur disposition le contact humain et les outils nécessaires pour que les gens comprennent comment cela fonctionne pour trouver un job, un logement, mais aussi pour les activités de loisir, de culture, de sport.

Il s’agit d’une Politique de toute la ville, où on valorise beaucoup la diversité. Dans ce cadre, on fait beaucoup de projets, parfois très simples. Par exemple, il y a une exposition photo ("Genève sa gueule") pour montrer à quel point les profils des Genevois sont très différents. Cela renforce une prise de conscience de cette diversité qui est une richesse.

Dans mon domaine, la culture et le sport sont des domaines très fédérateurs. J’utilise beaucoup ces deux secteurs, qui sont des outils très efficaces pour créer des liens positifs, par exemple à travers les artistes, la musique, le théâtre, le sport, notamment pour la question de la frontière. Objectivement, un des défis les plus sensibles pour Genève aujourd’hui, c’est justement cette coexistence entre les communes du territoire Genevois et les gens qui habitent de l’autre côté. Malheureusement, comme partout, en Europe et dans le monde, on a des forces politiques populistes qui essayent de diviser. Alors, on essaie de contrebalancer ces discours axés sur les clivages avec un discours positifs et des projets très concrets.

On rassemble les gens à travers des projets artistiques ou sportifs. Dans le domaine sportif, par exemple, on organise des championnats sportifs (ex.: football, judo, natation, etc.) pour des enfants d’entre 10 et 18 ans de toute la région. Le langage sportif est universel : ils jouent ensemble, ils se connaissent, ils créent un lien positif. Ils ne sont plus uniquement des concurrents sur le marché du travail et le marché du logement. Sur le plan culturel, on aime bien les projets qui impliquent les gens dans les quartiers, où les gens collaborent, par exemple, à aménager leur quartier avec des contributions artistiques.

Pensez-vous à un exemple d’initiative qui soit emblématique en ce sens?

Oui, justement. Dans le cadre d’un projet transversal de développement, on va avoir un nouveau réseau de train régional en 2019. En ce moment, c’est un vrai manque et, d’ailleurs, un facteur de tension autour de la frontière. En vue du lancement, en 2019, on est en train de préparer toute une série d’actions symboliques avec les autres communes urbaines de la région à travers la frontière. Au-delà de l’aspect strictement pratique pour la mobilité, cela est aussi l’occasion pour les gens de rentrer en contact et de faire connaissance à travers la frontière. Il y a toute une démarche qui est en train de se préparer, incluant des activités artistiques, sportives, festives, c’est une opportunité positive pour montrer qu’on est dans la même région, dans le même bassin, que notre destin est commun.

Question : Dans le cadre de la Commission sur le Vivre ensemble, qui regroupe les maires des villes francophones de l’Observatoire, on retrouve une série de réalités très différentes, quelles sont vos réflexions à ce sujet?

Je crois qu’on est tous conscients que face à des problématiques comme la radicalisation ou autres formes d’exclusion qui génèrent des nuisances, on ne peut pas avoir des réponses superficielles et à court terme. Il est nécessaire à chaque fois de retrouver le contexte socio-économique général et, en particulier, la dimension culturelle.

Aujourd’hui, on est face à un important enjeu culturel : on est dans une planète où les gens bougent beaucoup plus qu’avant et une partie des gens se retrouvent sans référentiels culturels. La tendance va vers plus de mixité et de diversité – et cela en soi c’est positif, mais une partie de la population le vit mal, comme une perte de repères. Le jour où il y a un problème spécifique, cette perte de repères peut se traduire par des phénomènes de refus communautaires. Chacun de ces actes génèrent des effets induits, des effets secondaires de longue durée, qui sont beaucoup plus graves car ils créent de vrais clivages entre origines, ethnies, religions, couches socio-économiques, qui eux sont un vrai poison pour le « Vivre ensemble ».

Je trouve intéressant de faire un lien avec la Déclaration universelle des Droits humains et, en particulier, à la notion de « Droits culturels » qui précise que chaque personne a un droit de préserver son identité et ses références culturelles formulées de manière positive et inclusive – non pas sous forme de fermeture à l’autre. Si quelqu’un se sent bien dans son identité, il est plus facile pour lui de s’ouvrir à l’autre et d’être en interaction. En ce sens, une politique culturelle crée de la valeur pour la société dans plein de domaines : la valeur artistique, la valeur économique, la valeur social et identitaire et elle peut ainsi contribuer à ce que les droits culturels puissent être vécus positivement, sous forme d’ouverture. On a réalisé un travail exploratoire à ce sujet à Genève.

Cet article de la Déclaration est un levier important qu’il faut utiliser davantage, comme un facteur de protection face à des enjeux socio-économiques, par exemple. Donc, sans négliger l’importance des mesures immédiates, on doit essayer de trouver à chaque fois des mesures préventives et dissuasives à long terme pour éviter que la mosaïque se casse. À la Commission sur le Vivre ensemble, il y a sans aucun doute une belle convergence, en tenant compte, bien sûr, des différences entre une ville d’Afrique, une ville d’Europe et une ville d’Amérique du Nord. On est conscient qu’on peut échanger beaucoup de bonnes pratiques, quitte à les adapter. Par exemple, la question de la mixité des ethnies est présente partout de manière différente. Il y a peut-être aussi des soutiens spécifiques à apporter à certaines villes, cette Commission peut servir de plateforme.