Entrevue: Fritz Ntonè Ntonè, Maire de la ville de Douala*
En tant que ville portuaire et capitale économique du Cameroun, Douala est une ville d'une grande diversité socio-culturelle, aussi bien du point de vue local qu'international. À l'occasion de son passage à Montréal, nous avons rencontré M. Fritz Ntonè Ntonè, Maire de la ville de Douala*, qui nous a parlé de l'importance de reconnaître cette diversité afin de favoriser une meilleure cohésion sociale.
Quelle est votre vision du Vivre-ensemble et quelles sont les principaux défis en matière de Vivre-ensemble dans la ville de Douala ?
De par sa démographie et sa position géographique, à la convergence de l’Afrique centrale, avec un plus de 3 millions d’habitants, Douala présente une véritable diversité culturelle. Rappelons que le Cameroun compte plus de 250 ethnies et au moins d’une quarantaine de nationalités ; ces diverses communautés se retrouvent donc naturellement dans la capitale Douala. Cette diversité d’origines et de cultures pose incontestablement des défis et des enjeux en matière de développement économique. Cela suppose donc de bâtir une démarche dans le sens de l’apaisement, de la cohésion sociale et qui doit plaider finalement en faveur du Vivre-ensemble. C’est pour cette raison qu’avant même qu’on signe la Déclaration de Montréal, la ville de Douala, à l’instar des maires des autres villes, avait déjà pris un certain nombre d’initiatives en matière de Vivre-ensemble. Notre vision est très claire : tous les acteurs du développement, qu’ils soient autochtones ou immigrés, participent ensemble à l’épanouissement socio-culturel, politique et économique de notre cité capitale économique.
Quels initiatives ou projets spécifiques avez-vous développé en ce sens ?
Les projets spécifiques que nous avons développé de manière formelle, concernent différents aspects de notre société. Tout d’abord, l’aspect traditionnel. L’initiative « Paix au Village » implique les chefs traditionnels autochtones qui avaient pour mission d’entretenir des relations apaisées avec les représentants de toutes les communautés présentes à Douala. Ce cadre existe déjà et la ville de Douala encourage ces chefs traditionnels dans cette voie. D’ailleurs, à chaque fois qu’il y a une organisation culturelle, quelque soit l’obédience qui y est pratiquée, nous veillons à ce que ça sous l’égide de la ville. A titre d’exemple, le «ngondo» qui est une rencontre traditionnelle des autochtones depuis quelques années est ouverte de manière formelle à toutes les sensibilités locales. On y invite les autres communautés. En outre, d’autres organisations de manifestations et d’activités culturelles sont ouvertes à tout le monde. Cette année par exemple, nous allons relancer une grande activité qu’on appelle « Carnaval de Douala ». Il s’agit d’un défilé honorant toutes les cultures qui se retrouvent à Douala.
Au niveau de l’aspect diplomatique, nous avons créé un cadre de rencontres interculturelles avec toutes les communautés étrangères basées à Douala. Nous devrions dédier une semaine par an à cette activité cependant pour des raisons de faisabilité, celle-ci est pratiquée tous les deux ans. En 2017, nous allons faire une autre soirée au cours de laquelle seront présentées des expressions culturelles provenant de plusieurs pays (Sénégal, Inde etc.). Au delà des manifestations culturelles, il y a aussi les rapports quotidiens. Et c’est bien évidemment à travers la mairie qu’on peut manifester cette hospitalité. Par le passé, c’était le coté diplomatique et consulaire qui en prenait la charge. Cependant, on s’est vite rendu compte que cette tâche d’accueil revenait au Maire. Dieu merci, nous avons eu la compréhension et l’accompagnement du ministère des relations extérieures au travers de l’antenne locale. Comme vous le savez certainement, vous savez, ce n’est pas facile de faire déplacer des personnalités, comme par exemple inviter un consul à une soirée ou à une réunion. Cette exigence hiérarchique et protocolaire a été positivement abordée et les rapports impliquent de la convivialité.
Sur l’aspect de la société civile, nous avons aussi mis en place un cadre de réflexion qui implique davantage les associations, car nous pensons que ces dernières jouent un rôle au sein de la société civile. Nous avons répertorié pas moins de 300 associations, qu’il s’agisse de regroupement tribal ou culturel, et avec lesquelles nous travaillons pour le développement de notre ville.
Nous avons des grands projets d’infrastructure avec de grands impacts sociaux et culturels, c’est pour cela que nous avons créé des Bureaux d’écoute, à travers tous les quartiers, pour faciliter la compréhension des projets et susciter l’adhésion des populations. Nous pensons que ces relais qui sont aussi formels, permettent de prendre en compte et valoriser les chefs de quartier, de blocs et de village qui se sentent intéressés par la chose de la ville. Une chose est sûre, le Maire doit rester vigilant pour qu’il n’y ait pas d’injustice. Quand un quartier possède de l’éclairage, alors que l’autre n’en a pas, cela peut susciter de la frustration. Il faut donc que le maire ait le sens de l’équité et qu’il ait une démarche inclusive dans tout ce qu’il fait.
Dans le cadre du Congrès de l’AIMF, nous avons récemment organisé une rencontre avec des membres de l’Observatoire…Quel message aimeriez-vous porter à des maires d’autres villes qui font face à des défis, parfois semblables ou différents, sur le Vivre-ensemble?
Nous devons prendre au sérieux de manière formelle tout le processus qui a été mis en place afin de relever les aspects qui font épanouir le Vivre-ensemble dans nos villes. Tout parait si évident, de sorte que nous n’avons pas tendance à considérer cette démarche comme une nécessite, même si on la pratique tous les jours. Il faut le dire, nos sociétés vivent dans l’angoisse et le stress. L’humain n’est plus au centre des préoccupations de tout le monde, on constate plutôt les gains et les intérêts. Voyez ce qui se passe en Afrique, dans des pays où il y a des conflits.
Le développement de nos villes devient un concept que tous les décideurs au niveau national doivent prendre au sérieux, c’est ce qu’on voit d’ailleurs avec le processus de décentralisation. Chacun doit prendre ses responsabilités, car s’il est vrai que l’apaisement vient par le bas et, si la cohésion sociale vient par le bas, alors nous pouvons œuvrer pour une paix générale dans le monde. Ce combat doit se faire de la même manière que celui relatif aux changements climatiques. J’encourage et invite à ce propos, tous les maires qui ne se sont pas encore manifesté à se pencher sur la question. La gouvernance locale est essentielle et elle figure dans la stratégie de développement de nos villes et nous conduira à l’épanouissement de nos populations respectives.